C’est une chose d’être contre la pauvreté – tout le monde l’est à peu près – c’en est une autre de militer sa vie entière, sans relâche, pour un idéal de justice. De dédier sa vie aux autres, les oubliés et les faibles. Chantal Montellier et Marie-José Jaubert (auteure du film documentaire On l’appelait Christine) retracent, à partir d’archives et d’interviews, l’itinéraire hors du commun de Christine Brisset, femme rebelle et obstinée jusqu’au sacrifice, héraut et soldat du combat contre la misère sociale dans les années 50 à Angers. Une femme révoltée, incapable de supporter la pauvreté et l’exclusion, qui a relogé des milliers de personnes par son action militante. En décrivant sa lutte sous forme d’un documentaire précis et rigoureux faisant la part-belle à un patchwork de collages, portraits et photos, doublé de témoignages variés (famille, proches), l’auteure fait ressortir une personnalité rare, portée par son indépendance d’esprit et mue par le refus absolu d’être écrasé. Un moteur, le rejet de la fatalité, qui faisait dire à Jean Morin, lors des obsèques de Christine Brisset en 1993 : « Votre conscience vous imposait des devoirs que vous deviez accomplir coûte que coûte, ayant adopté cette ligne de conduite : si c’est possible, c’est fait. Si c’est impossible, ce sera fait ». Evidemment, « la fée des sans-logis » a payé cher ses 800 squattages, ses constructions illégales, son caractère. Des procès à la pelle intentés par ceux-là mêmes que l’attitude frondeuse dérangeait, des politicards bercés d’affairisme, se livrant à de faux témoignages pour mieux protéger leurs intérêts lors des procès. Envers et contre tout, elle a su garder une incroyable et indéfectible capacité à s’indigner, à refuser l’inacceptable, fut-ce au prix de la transgression des lois, règlements ou obstacles absurdes dressés par le pouvoir et les possédants. Chantal Montellier aborde donc indirectement un thème qui lui est cher, le féminisme, mais aussi la solidarité, le mal-logement ou encore la collusion entre pouvoir politique et justice. Puis donne finalement vie à son personnage à partir de photographies dupliquées, dessinées et recomposées, pour livrer au final une inventive et dynamique scénographie. Le nom de Christine Brisset, un peu oublié, ne dira pas grand-chose aux plus jeunes. Et pour cause, elle a peut-être été éclipsée dans la mémoire collective par l’omniprésence médiatique de l’Abbé Pierre. Raison de plus pour s’y plonger, car voilà une BD-reportage didactique, captivante et actuelle, doublée d’un bel et vibrant hommage à cette femme d’exception, dont le courage et le combat forcent le respect. Salutaire.
Olivier Hervé
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