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Chantal Montellier

Pour retrouver l’entretien sur le site de BDGest’, cliquer ici

Chantal Montellier est une artiste engagée. Engagée dans un combat politique qu’elle mène depuis ses premiers dessins de presse parus au début des années 70 dans L’Humanité ou Politis, dans une lutte contre un monde déshumanisée que l’on retrouve dans des albums comme Tchernobyl mon amour ou Odile et les crocodiles, elle a également à cœur de rendre à la Femme la place qu’elle mérite, dans une société très machiste. Elle a d’ailleurs créé en 2008 le prix Artémisia qui récompense chaque année un album scénarisé et/ou dessiné par une ou plusieurs femmes. À l’occasion de la sortie de son nouvel ouvrage, L’Inscription, publié chez Actes Sud, elle accepte de se prêter au jeu de l’interview.

Le nom de l’héroïne de L’Inscription, Caroline Montbrasier, possède les mêmes initiales que le vôtre. La coïncidence est-elle purement fortuite ?

Pas vraiment. Même si je ne suis pas le personnage, nous sommes proches.

L’album s’ouvre sur une citation d’André Breton portant sur la révolte. Êtes-vous, vous-même, une révoltée ?

Une indignée, comme de plus en plus de personnes en ce moment. Les indignés de Wall Street, par exemple (les manifestants du mouvement anticapitaliste Occupy Wall Street ). Comment ne pas être révoltée face au désastre social actuel…

Pensez-vous qu’il n’y a pas de place dans la société actuelle pour des personnes ne correspondant pas exactement à « la norme » ?

La norme est morne ! Les gens ordinaires ennuyeux. On calibre les individus comme s’ils étaient des biens de consommations. Personnellement, je refuse ce calibrage et ça ne me simplifie pas la vie. Mais les artistes ne sont pas calibrables en principe, donc hors normes. Les pouvoirs n’aiment pas ça.

Votre livre a tout d’une dystopie. Vous semblez avoir fait de Caroline une victime consentante de ce système.

Vous m’avez mal lue. Caroline est coincée. Elle est entrée, poussée par un faux ami (psy), dans un piège… Mais c’est aussi une sorte d’initiation.

Et puis il s’agit d’un songe !

Certes, elle se rebelle dans sa tête, mais elle cède systématiquement dans les faits. Sur quoi avez-vous voulu insister en faisant ce choix ?

Montrer la face cachée du pouvoir.

N’y-a-t-il pas un paradoxe à dénoncer une société du paraître, alors que dans le même temps, l’unique personnage de votre livre qui a une certaine beauté est Caroline ?

La beauté n’a rien à voir avec le “paraître”. Et Caroline est dans sa vie “réelle” (si j’ose dire) cernée par la laideur, la bêtise. Concierge et voisins hideux, méchants ; beaufs et commerçants vulgaires et voleurs ; bureaucrates rancis et pervers ; flics sadiques… Elle est un peu comme Rimbaud face aux “assis”

“… leur regard filtre ce venin noir…

Et vous suez pris dans un atroce entonnoir”

Dans plusieurs de vos albums, et notamment le dernier, votre graphisme fait écho à des œuvres de toutes natures. Pouvez-vous nous parler des artistes, des arts qui ont une influence sur votre travail, votre mise en scène ?

”De toutes natures” me semble exagéré. J’ai cité John Tenniel, Crépax et deux ou trois autres dessinateurs des jeunes générations comme la talentueuse Tanxxx. Mais en fait, pour L’Inscription, je n’ai pas été, côté dessin, influencée par grand monde, j’ai surtout puisé en moi même.

Par contre je travaille en ce moment sur un album pour Thierry Groensteen (Actes Sud, l’An 2), et les peintres de la Nouvelle Figuration ou Figuration Narrative m’inspirent beaucoup. Je me sentais très proche d’eux à une certaine époque.

Dans L’Inscription, Caroline est présélectionnée pour le prix Artémise. Quels sont les retours que vous avez eus sur l’impact des prix Artémisia décernés à ce jour ?

Excellents. Notamment grâce au magnifique travail de Sylvie Chabroux notre attachée de presse, les dossiers de presse sont impressionnants. Quant aux auteurs, nos deux dernières lauréates ont eu le plaisir de voir leur albums réimprimés. Les éditeurs jouent bien le jeu et cette année nous avons reçu beaucoup d’albums. Hélas, la production ne me semble pas excellente… Peut-être un des effets négatifs de la “BD girly” qui abaisse le niveau général ?

Justement, que pensez-vous de l’apparition des bandes dessinées tirées de blogs dans lesquels les auteures y livrent leur quotidien, ce que vous appelez la « BD girly » ? L’une d’entre elles, Mimi Stinguette de M.Rak, éditée par La Boîte à Bulles, a récemment fait l’objet d’une polémique, certains la taxant de « mièvrerie superficielle ». Pensez-vous également que ce genre d’albums dessert la bande dessinée que vous défendez ?

Elle desservirait si on ne voyait plus que la "BD girly" dans les bacs et les vitrines des libraires, et c’est hélas un peu trop le cas. Je vous conseille à ce sujet de lire le très bon papier de M.A. de Saint-André, publié sur fluctuat.net.

Comment voyez-vous l’évolution de la bande dessinée féminine depuis le début de votre carrière ?

Incontestablement le nombre des dessinatrices augmente, mais la qualité ne suit pas toujours. Beaucoup d’albums publiés manquent un peu d’originalité… Le norme commerciale nivelle et écrase trop souvent les talents et les personnalités. Je feuilletais des numéros du journal Ah ! Nana dans lequel j’ai débuté, les styles étaient immédiatement reconnaissables, on ne pouvait pas confondre Claveloux et Cécilia Capuana, Trina Robbins et Kéleck… Aujourd’hui, toutes les bd dites "girly" se ressemblent beaucoup…

Ceci étant, de vraies auteures émergent, comme Laureline Mattiussi qui a un langage graphique bien à elle. Estelle Meyrand ne manque pas de talent et de sensibilité et Chloé Cruchaudet non plus. Dans un autre style, Gabrielle Piquet pourrait devenir une grande dessinatrice en s’affirmant davantage….

Des femmes comme Catel Muller font le lien entre ma génération et celle des Trenta… Catel a produit de bons albums comme son Kiki de Montparnasse très habilement dessiné. J’ai eu le plaisir de voir ses carnets de croquis, et j’ai pu constater qu’elle était aussi une excellente dessinatrice réaliste.

Que pensez-vous de la segmentation du marché au Japon, où des BD sont spécialement écrites pour le public féminin ?

J’en pense beaucoup de mal.

Le prix Artémisia offre une visibilité aux auteures, mais à part donner l’exemple en montrant qu’on peut être une femme et une auteure de BD, ne faudrait-il pas également une BD plus militante ?

Si, bien sûr… Hélas, l’esprit militant, en ce moment… C’est plutôt la démobilisation et le chacun pour soi. Et puis la période est très angoissante et il y a beaucoup de combats plus urgents que la BD féminine.

Quels sont vos projets ?

Survivre. Plus sérieusement, une biographie de Marie Curie, La fée du radium qui va sortir prochainement chez Dupuis. Elle m’a été commandée par José-Louis Bocquet. (je ne suis pas responsable du titre.) Et je travaille a une autre biographie de femme remarquable, Christine Brisset qui a lancé le mouvement d’auto construction après les bombardements d’Angers. Une femme d’une audace et d’un courage peu ordinaire. J’aime assez cette alternance entre projets très personnels et très fictionnels comme L’Inscription, et les… “documentaires”. J’y trouve un bon équilibre.

Propos recueillis par L. Gianati