« Inspireeez… Souuufflez », dit notre médecin alors qu’il écoute, au travers de son stéthoscope, nos poumons respirer. En allant du figuratif le plus réaliste (des décors urbains dont elle seule a le secret) à l’iconique le plus abstrait à savoir la lettre et le mot (des pans entiers de planches voire des pleines pages sont allouées à du texte), Chantal Montellier, dans son Inscription, propose une véritable respiration. Une respiration profonde. Et ce qu’elle écoute, ce qu’elle ausculte, ce qu’elle décortique, c’est ce qui au fond a traversé toute son œuvre et dont elle fait ici son sujet : le rapport du réel, de l’imaginaire et du symbolique.
On inspire du réel et de l’imaginaire, on expire du sens.
La virtuosité graphique de Chantal Montellier, dans la composition de ses planches (qui doivent plus – choses rare dans la BD – au pictural qu’au cinématographique) n’est plus à prouver mais elle atteint son point d’orgue dans l’Inscription où l’on peut voir dans la même image, une représentation des plus réalistes d’un bâtiment administratif dans une rue où, par ailleurs, les passants sont des pictogrammes de toilettes publiques ou de feux de signalisation, le tout agrémenté d’oiseux noirs et symboliques.
Inspirez, soufflez…
« En fait, ton problème, c’est que tu refuses de t’inscrire normalement dans le réel » dit Paul à Caroline Montbrasier qui dès lors, va partir à la recherche de l’inscripteur.
Et de notre réel socio-politique, tout y passe. La crise, la surveillance vidéo de Big Brother, la pornographie, crue et totalitaire, ou sa caution intellectuelle. La condition de la femme, la condition de l’artiste (et celle de la femme artiste)…
De notre imaginaire collectif également. Alice au pays des merveilles, Les misérables, Les mille et une nuits…
Quant à ces pans entiers de textes – où s’exprime entre autres la voix narrative – qui ponctuent les complexes compositions graphiques, c’est du courage artistique qu’ils relèvent. Car, regardons autour de nous, dans la littérature et surtout dans la bande dessinée, force est de constater que la voix narrative a disparu. Tout est donné à voir par une focalisation externe (caméra objective) ou une focalisation interne (la perception d’un personnage).
Tout se passe comme si, de nos jours, le monde ne pouvait plus être pensé mais seulement vu et perçu.
Or, si dans l’inscription une part du récit est donné à voir par les yeux de Caroline Montbrasier, ici et là, en revanche, dans ces longs passages de textes (ou même dans l’utilisation d’éléments graphiques symboliques), la voix narrative émerge, apparaît, se fait entendre. La voix narrative commente et suggère. Elle donne du recul et elle explique. Inspirez, soufflez.
Car pour Chantal Montellier, le monde peut et doit se penser.
L’inspiration, Chantal Montellier connait. Quel beau poème écrit par Caroline Montbrasier et signé C.M. : « Au-dessous du monde, sous le poids des pachydermes en chemises acryliques, œillères sur leurs minuscules yeux myopes, je cherche en vain l’entrée vers le rassurant troupeau gris ».
L’expiration sémantique du symbole, Chantal Montellier connaît aussi. Popoll est un parti politique, Popol est le sexe turgescent de la pornographie omniprésente, et c’est à son ami Paupaul que Caro dira « tchao ».
Et la conclusion, où la petite fille magique et son alter ego Caro (sorte de super héroïne poétique), s’envolent sur le cygne (le signe), est en somme déjà là, dès le début, lorsque la voix narrative dit : « Caro, elle, se presse vers son antre où l’attendent ses livres, ses poètes préférés, et ses chats.. Tout un monde à la fois symbolique, imaginaire et aussi réel, forcément réel.. »
Bernard Dato