Le titre de cet article reprend celui donné par Didier Daeninckx à la réponse qu’il oppose aux accusations de censure exprimées par l’éditeur des éditions Baleine (cf. Dossier ci-dessous intitulé "François Brigneau réédité aux éditions Balein"). Voici le contenu de cette réponse :
A ce jour, 45 romanciers ont signé la pétition « Droit de retrait », suite à la décision des éditions Baleine de mettre à leur catalogue un livre au contenu ouvertement raciste de François Brigneau, un ex-Milicien, fondateur du Front national, condamné à de nombreuses reprises pour antisémitisme.
Contrairement à ce que prétend l’éditeur, qui parle de « censure », ces 45 auteurs ont simplement signifié leur prise de distance.
Ces écrivains ne font que rappeler l’un des attributs de leur droit moral, rappelant tout ce que le renom de la maison d’édition Baleine doit à leur engagement dans l’aventure d’un personnage libertaire et antifasciste : le Poulpe. Leur silence n’aurait pu être interprété que comme une caution apportée à un ouvrage où, en toute bonne conscience identitaire et ultra-nationale, se bousculent les termes de « bicots », « d’arbis », de « bougnoules », de « sidis », où les « bronzés » parlent en petit nègre.
L’éditeur prétend n’y voir que le charme désuet de l’argot des années 50.
Dans la droite ligne de cette publication, ressortira-t-il bientôt de sa bibliothèque des livres du même tonneau où, sous couvert de la pureté du style, se règleront cette fois les comptes avec les « youpins », les « enjuivés », les « niakoués », les « bamboulas », les « bridés », les « fiottes », les « tantouzes » et les « tarlouzes » ?
Dans cette croisade pour la « vraie littérature », celle qui en a, l’éditeur a reçu le soutien bruyant du site négationniste Stormfront. Bruno Gollnish, qui se relève d’une condamnation relative à ses propos sur les chambres à gaz, salue son courage.
La mobilisation des auteurs montre qu’il existe encore des forces pour refuser l’indifférence, la banalisation des idées brunes. Ce n’est pas le cas partout, et il suffit de se remettre en mémoire les récentes images des pogroms anti-immigrés de Calabre pour s’en convaincre. Ou de se rappeler ces autres images de vacanciers continuant à se faire bronzer près des cadavres de sans-papiers rejetés par la mer, sur la plage de Torregaveta.
Là, sur ce sable surchauffé, les mots bruns avaient déjà fait leur chemin : on ne replie pas sa serviette pour des « bicots », des « arbis », des « sidis »…
Car tout commence par les mots. Au début était le verbe… Et l’on sait que les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde ; ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelque temps l’effet toxique se fait sentir.
Le linguiste Victor Klemperer rappelait que « lorsque aux yeux des Juifs orthodoxes, un ustensile de cuisine est devenu cultuellement impur, ils le nettoient en l’enfouissant dans la terre ». Il concluait : « On devrait mettre beaucoup de mots en usage chez les nazis, pour longtemps, et certains pour toujours, dans la fosse commune ».
Certains font profession de les déterrer.
Qu’ils ne comptent pas sur nous pour aller bronzer près des Baleines mortes.
Didier Daeninckx
Liste des signataires de la pétition « Baleine brune : droit de retrait » :
Didier Daeninckx, Patrick Raynal, Roger Martin, Sylvie Rouch, Lionel Makowski, Gérard Streiff, Maud Tabachnik, Chantal Montellier, Gilles Vidal, Sébastien Doubinsky, Romain Slocombe, Sophie Kepes, Nila Kazar, Francis Mizio, Hervé Le Tellier, Robert Deleuse, Mouloud Akkouche, Roger Facon, Claude Mesplède, Thierry Crifo, François Braud, Pierre Cherruau, Lalie Walker, Noël Simsolo, Catherine Fradier, Martin Winckler, Xavier Mauméjean, Olivier Thiébaut, François Joly, Johan Heliot. Guillaume Cherel, Stéphanie Benson, Jean-Christophe Pinpin, Antoine Blocier, Alain Bellet, Renata Ada, Jocelyne Sauvard, Grégoire Forbin, Jean-Jacques Reboux, Jacques Albina, Jacques Puisais, Michel Boujut,