La réédition dans la maison du Poulpe d’un roman raciste de François Brigneau suscite de fortes réactions parmi les écrivains publiés par les éditions Baleine. Didier Daeninckx publie une lettre ouverte adressée à la maison d’édition, cette lettre a été suivie d’une pétition signée par Chantal Montellier et Francis Mizio, entre autres écrivains. Nous faisons suivre leurs réactions respectives à la suite de la lettre ainsi qu’un article de Libération consacré à cette affaire. Une réponse du directeur des éditions Baleine, Jean-François Platet, commentée par Chantal Montellier, clôt le dossier que nous avons constitué à ce sujet.
Didier Daeninckx : Lettre ouverte aux éditions Baleine
Le 16 février 2010
Je viens d’apprendre que les éditions Baleine viennent de mettre à leur catalogue un bouquin de François Brigneau (né en 1919). Je leur ai fait parvenir ce courrier :
Dans la famille, il y a un oncle dont le nom figure sur des plaques émaillées, dans une rue de Dugny.
Résistant déporté suite à dénonciation des potes politiques du milicien François Brigneau.
Mort dans un camp.
Son histoire a forgé pour partie la manière dont je regarde le monde et m’a rendu intransigeant sur certains "détails" du siècle passé.
J’ai publié à Baleine, maison qui s’est construite sur une prise de parole antifasciste.
Je me suis battu quand Serge Quadruppani, qui faisait équipe avec Hervé Delouche, y a introduit un de ses affidés, Gilles Dauvé alias Jean Barrot, l’un des concepteurs du négationnisme d’ultra-gauche.
J’ai consacré dix ans de ma vie à mettre à plat les menées de ces gens, et hormis le temps prélevé à mes amis et à ma famille, cela a eu des effets considérables sur mon travail d’écrivain.
J’ai la conscience de quelqu’un qui a fait tout simplement ce qu’il devait. Ce n’est pas pour accepter de figurer dans une décharge, ce que sont à mes yeux devenues les éditions Baleine après avoir mis l’ex-milicien Brigneau à leur catalogue,
sans avoir le courage d’assumer la biographie d’ultra-droite de leur nouvelle recrue.
Je rompt donc à ce jour toute relation avec les éditions Baleine (…).
Baleine pourra se rembourser de l’avance en prélevant une somme identique sur le versement Folio prévu pour la sortie d’Ethique en toc en Folio.
Didier Daeninckx
Réponse de Chantal Montellier.
J’ai demandé moi aussi un “droit de retrait” de mon livre des éditions Baleine.
Cette structure s’était, comme l’écrit Daeninckx, construite sur une série anti fasciste et anti raciste : “Le Poulpe”, initiée par Jean-Bernard Pouy et quelques autres.
J’ai livré, vers le milieu des années 90, un épisode très “psych et po” comme dirait Antoinette Fouque, intitulé La dingue aux marrons
J’étais alors très loin de me douter, vu la coloration politique de la Baleine de ces années-là (de beaux rouges flamboyants, du noir lumineux et du vert, couleur de l’espoir), qu’elle virerait au brun sale et au vert de gris.
Il faut dire qu’Antoine de Kerverseau, l’éditeur initial, a du jeter l’éponge et c’est aujourd’hui un certain Platet qui pilote cette pauvre “Baleine” nageant apparemment dans de très sales eaux.
Pauvre bête, il serait plus charitable de l’achever !
Personnellement, si j’ai signé cette lettre c’est que je pense exactement la même chose que Francis Mizio dont voici les explications. Je partage au millipoil toutes ses raisons.
Explications de Francis Mizio.
L’éthique en toc des éditions Baleine 2010, ou :
Pas de place pour l’extrême droite dans la maison du Poulpe
Par Francis Mizio | Ecrivain | 21/02/2010 | 00H49
Depuis que les éditions Baleine ont réédité un roman de François Brigneau, ex-milicien et activiste d’extrême droite, une pétition a été signée par une vingtaine d’auteurs de la maison du Poulpe demandant « le retrait immédiat de leur nom et de leurs œuvres du catalogue des éditions Baleine ». Nous avons demandé à l’un d’eux, Francis Mizio, auteur d’un blog sur Rue89, de nous expliquer ce qui l’avait conduit à signer.
Rue89 m’a demandé de raconter « de l’intérieur d’un auteur Baleine », ce que je pense de « l’affaire ». Alors voilà.
Depuis que j’ai repris la « vie d’artiste » en 2008, j’ai été en contact avec Jean-François Platet (patron des éditions Baleine ndlr) pour qui, comme beaucoup d’autres, j’éprouve de l’amitié. Il est l’éditeur de mes quelques livres encore disponibles et un important travail rendu il y a un an et demi devait paraître cette année chez lui.
Pourtant, j’ai signé la pétition de Didier Daeninckx. Voici comment et pourquoi, j’ai signé (attention : mélodrame) :
Comme beaucoup d’autres dont Didier Daeninckx, j’ai tenté de dissuader Jean-François de publier Brigneau, il y a sans doute plus de deux ans. Jean-François m’avait raconté son entrevue chez l’individu, ses propos, prêté un de ses ouvrages « Moi mézigue ».
Il ne m’en fallait pas plus car, lacunaire si je savais le passé de milicien et son antisémitisme, j’ignorais pourtant l’intégralité du CV de l’individu, je l’avoue.
Deux jours avant la lettre de Daeninckx j’ai découvert sur le site de Baleine que le roman sortait.
J’avais oublié ce projet ; j’avais cru que Jean-François avait abandonné l’idée. Je me suis exclamé, consterné, « putain, il l’a fait ».
N’est-ce pas plutôt à Brigneau de partir ?
J’ai lu alors le CV de Brigneau sur Wikipédia. C’était donc pire que ce que je pensais. Ça n’a pas traîné : la lettre de Daeninckx est tombée, et j’ai compris, comme tout ceux qui sont concernés, à cet instant que c’était parti pour une belle merde dont on n’a pas fini de se prendre les conséquences. Merde pour les auteurs, entre les auteurs. Merde pour le milieu du roman noir. Une belle merde aussi pour Baleine qui ne s’en remettra pas.
J’ai signifié mon soutien à Didier Daeninckx. Quand la pétition est arrivée, je lui ai écrit mon dilemme. C’est une histoire de nombril : signer la pétition signifie pour moi quasiment invisible des librairies et achever le processus de disparition de l’auteur qui est engagé malgré moi depuis des années ? N’est-ce pas plutôt à Brigneau de partir ?
Didier m’a conseillé de réfléchir et de prendre mon temps, expliqué qu’il s’agissait de faire pression sur Jean-François. Le lendemain, en voyant tomber les premières signatures, panurgiques et exaspéré, j’ai rallié, comprenant que c’était foutu.
J’ai rallié, à titre personnel (mais je ne milite pas pour que les autres signent la pétition) :
Parce que Jean-François était prévenu et que je désire qu’il renonce à publier Brigneau.
Parce que j’estime que Didier Daeninckx a raison.
Parce que Baleine, via le Poulpe, s’est construit autour de la lutte contre les fachos. A appelé jadis à voter contre le FN.
Parce que je suis un des auteurs du retour du Poulpe (sur Rue89 entre autres) sous le slogan « Le Poulpe revient, on en a besoin ».
Parce que si je préfère être publié chez Baleine que dans une maison d’extrême droite, il y a des raisons. Une partie du roman noir français est politisée, à des degrés divers. Sans toujours reprendre intégralement la ligne des soixante huitards néopolardeux de jadis, on s’y retrouve. On arpente, nombreux, les lycées, les prisons, les CFA, les bibliothèques, les expériences et interventions sociales, les festivals : toute une communauté d’esprit. On sait toujours parfaitement pourquoi on nous appelle, nous. On rabâche, dans nos livres, dans les débats, dans les salons, les festivals… On milite d’une certaine façon, via la littérature qui s’inspire du présent.
Parce qu’en publiant un roman de Brigneau -en faisant rentrer l’extrême droite chez Baleine- Jean-François va nous contraindre de sans cesse nous justifier, parler de ça, de dire qu’on est contre, mais que voilà, hein… Il nous kidnappe la parole. Or, je ne supporte pas d’avoir le cul entre deux chaises et de devoir m’expliquer de choses dont je ne suis pas responsable. Il y a énormément d’auteurs dans ce cas.
Parce qu’il n’a pas consulté les auteurs de chez Baleine, qui, encore une fois, ne sont pas chez Baleine par hasard.
Parce qu’il nous fout une merde entre nous dont on n’a pas besoin : réveil des vieilles haines, prises de positions intenables qui font littéralement chier tout le monde : « je signe pas car j’ai peu de livres chez eux, on va dire que c’est parce que je m’en fous » ou « je signe pas parce que je n’aurai plus d’éditeur » ou « je signe pas car j’ai un bouquin à sortir et j’en ai bavé durant des mois,… mais il est déjà foutu ». On se prend la tête. On est effarés. On ne parle plus que de cela (et je vis avec une auteure de Poulpe, elle aussi, à l’origine du « retour », Lalie Walker).
Parce qu’on ne fait pas de buzz avec un facho. Le buzz ça doit finir en positif. Là, c’est « Baleine qui édite des fachos » et ça restera ainsi. Demain, en festival un mec va venir me voir et me dire : « Ah oui, le Poulpe, ce truc de miliciens ». Je prends les paris. Et pourtant Brigneau n’a pas écrit de Poulpe.
Parce que ça n’a pas tardé : un auteur copain pétant les plombs m’a traité de crypto-léniniste (mort de rire), de destructeur de jouets… parce que j’ai étalé les problèmes factuels sur Tata Rapporteuse.
Parce que je suis un petit fils d’immigré, (de « sale polack », mais qui a toutefois planqué des soldats américains durant la guerre), et que je ne rigole pas avec le racisme, les problèmes de sans-papiers. C’est dans mon histoire familiale, la xénophobie.
Parce qu’il y a des auteurs, des libraires, des festivaliers, des bibliothécaires, des enseignants, des lecteurs de Baleine, de la communauté d’esprit, qui sont juifs ou d’origine étrangère, touchés par les horreurs du passé, mariés à des étrangers, militants de gauche, et qui soudain ne vont pas comprendre.
Parce que les propos gerbants, je n’ai pas besoin, personne d’ailleurs, qu’on en rajoute. Le FN est au pouvoir depuis Sarkozy. Le gouvernement lui-même aujourd’hui en lâche avec gourmandise, de ces phrases haineuses. Pas la peine d’en rééditer de vieilles rances.
Parce que je me fous de savoir que Brasillach, Drieu La Rochelle, Brigneau, Gripari, Céline et j’en passe sont chez Gallimard avec Daeninckx (ou moi jadis) : Gallimard ne s’est pas construit sur l’argument anti FN… et l’époque est différente. Si on ne doit pas être vigilant aujourd’hui quand il y a des rafles approuvées par la majorité, des gardes à vues arbitraires, des violences policières, on le sera quand ?
Parce que Marie N’Daye a été remarquable, et n’a pas cédé.
Parce que la droite montante dans le polar français ou les carriéristes du thriller commercial qui nous détestent vont ricaner et que ça, ça me gonfle vraiment.
Parce que Baleine n’allait pas bien et que si ce « buzz » qui fait de la pub à Brigneau renfloue la maison, c’est désormais grâce à lui si je peux y être réédité. On m’excusera, mais ça pique un peu.
Parce que tout ça, c’est con, parce que c’est très con, parce que c’est vraiment très très con.
Et enfin, a posteriori, parce que ça me révulse même, à cause de la décision de Jean-François, de me retrouver à écrire tout ça.
Un article de Libération consacré au sujet.
Un os brun aux éditions Baleine
Polar. Réédité dans la maison du Poulpe, un roman raciste de François Brigneau, ex-milicien et journaliste d’extrême droite, suscite l’émoi. Didier Daeninckx mène la fronde.
Par BRUNO ICHER
La Baleine traverse une crise. La maison d’édition, née en 1995 en même temps que son héros emblématique Gabriel Lecouvreur, alias le Poulpe, infatigable pourfendeur de fachos, se trouve sous le coup d’une bagarre féroce opposant la direction à ses auteurs. A l’origine de la fâcherie, un roman écrit en 1948 par François Brigneau et que le patron de Baleine, Jean-François Platet, réédite ces jours-ci.
Il se trouve que le Brigneau en question, 92 printemps au compteur, de son vrai nom Emmanuel Allot, est un plumitif dont l’abondante production a fait le bonheur de la quasi-totalité des journaux d’extrême droite de l’après-guerre, à commencer par Minute dont il fut un des fondateurs. Editorialiste à l’antisémitisme maintes fois condamné, Brigneau est également l’auteur d’une pléthore d’ouvrages où il ne tarit pas de louanges sur, entre autres, Pétain, Mussolini, Faurisson, Mgr Lefebvre ou Brasillach – dont il prétend avoir été le secrétaire en prison.
Fresnes. Par le fait, Brigneau s’était engagé dans la Milice le 6 juin 1944, probablement pour botter le cul des Alliés fraîchement débarqués, ce qui lui a valu un séjour à Fresnes à la Libération. Il en sort manifestement intact puisqu’il entame illico sa longue carrière de polémiste dans Paroles françaises.
En chemin, il fait un détour par la case polar aux Editions Froissard, dont les heures de gloire coïncident avec la réédition de Blondin et Céline. C’est un de ses romans, Paul Monopaul, retitré Faut toutes les buter !, qui débarque dans le catalogue Baleine. L’encre sur les pages n’est pas encore sèche que Didier Daeninckx, pas le dernier à débusquer le faf y compris parmi ses amis, fait tourner une pétition auprès des auteurs de la maison les invitant, sur son exemple, à en claquer la porte illico. Extraits : « J’ai publié à Baleine, qui s’est construite sur une prise de parole antifasciste. […] Ce n’est pas pour accepter de figurer dans une décharge, ce que sont à mes yeux devenues les éditions Baleine après avoir mis l’ex-milicien Brigneau à leur catalogue […]. Je romps donc à ce jour toute relation avec les éditions Baleine. » Depuis, une pétition a été signée par une vingtaine d’auteurs (dont Patrick Raynal, Maud Tabachnik, Chantal Montellier, Romain Slocombe, Claude Mesplède) demandant « le retrait immédiat de leur nom et de leurs œuvres du catalogue des éditions Baleine ». Didier Daeninckx argumente :« La publication de ce roman est absurde, elle bafoue l’histoire de cette maison d’édition. Tout le monde y perdra : Baleine, Platet, les auteurs. Le seul gagnant, ce sera Brigneau. »
Jean-François Platet, lui, plaide la qualité du texte. « Il y a longtemps que j’aime ce roman que je trouve drôle, passionnant, et pionnier dans l’histoire du polar avec cette langue argotique formidable. J’ai essayé plusieurs fois de le publier, en vain. Quand Baleine était encore sous la tutelle du Seuil, Denis Jambar, le patron, s’y était opposé. Aujourd’hui que le livre est là, je continue à défendre le texte. Le reste ne m’intéresse pas. Et puis, ce n’est pas moi qui ai mis le bordel. »
Autrement dit, c’est Daeninckx. Le même qui, voici plus de dix ans, s’était fâché avec d’autres auteurs, de gauche, qu’il accusait de révisionnisme. Pas très convaincant. Quant à la suite, si certains auteurs veulent quitter Baleine, ça se paiera… « Il y a des contrats d’édition signés, prévient Platet. Ça se réglera par lettres recommandées et avocats interposés. »
« crouïas ». Alors que Baleine commençait à se remettre d’une longue période de flottement, reprenant notamment la collection endormie du Poulpe, la publication d’un roman de Brigneau en vaut-elle la chandelle ? La réponse, c’est bien le comble, est non. Cette truculence que vante Platet sent atrocement le faisandé. Le premier chapitre est un festival de « crouïas », « bicots », « arbis » et autres « il ne trouvait plus ses mots en français. Alors, il a commencé à postillonner en macaque », le tout en moins de quinze pages. Quand Brigneau change de registre, c’est pour décrire un monde d’hommes, de vrais, qui traficotaient pendant l’Occupation et détroussaient plus tard les collabos, qui culbutent les bourgeoises en fleur avant de leur coller des mandales et qui assassinent de sang-froid qui leur plaît, histoire de relancer l’intrigue, enlisée depuis longtemps dans la médiocrité.
Autrement dit, c’est vieux, un peu bête et pas bien écrit. Bien sûr, on trouvera toujours des nostalgiques pour invoquer les grands anciens. Les Simonin, Malet, Blondin, Helena, voire ADG dont il n’est pas difficile de trouver dans certains de leurs romans des signes extérieurs de racisme d’époque. Parfois, c’était pour rire, et parfois, même si l’on en rit, c’était du sérieux. Sauf que ces gens avaient un talent, ce qui les rendait du reste si agaçants. Ce n’est pas le cas de Brigneau, dont l’argot à marche forcée fait l’effet d’une boule puante : incommodant et pas drôle.
Pour rester dans le registre de la farce douteuse, il n’est pas impossible, même s’il s’en défend, que Jean-François Platet ait juste eu envie de faire parler des éditions Baleine. On verra si c’est réussi. Jean-Bernard Pouy, auteur du premier Poulpe, résume la situation : « Après tout ce qu’on a fait, ça me ferait un peu ch… de m’en aller. Au fond, ce n’est pas à nous de partir, c’est à Brignaud de vider les lieux ».
Lettre de Jean-François Platet, éditeur : extraits agrémentés de quelques commentaires de Chantal Montellier (en italiques et en gras).
Les éditions Baleine http://www.editionsbaleine.fr/> , dont je m’occupe
depuis 2005, et que j’ai rachetées au groupe La Martinière en 2008, ont
publié plus de 450 titres, dans des collections diverses et variées, entre autres, et pour ce qui est encore d’actualité :
*Le Poulpe http://www.editionsbaleine.fr/cms.p…> , collection créée en 1995 par JB Pouy et dirigée aujourd’hui par Stéfanie Delestré, qui – en dépit des attaques et changements de propriétaires, compte maintenant plus de 190 titres, sans compter les copies, imitations et adaptations. Il en paraîtra huit nouveaux inédits en 2010, faisant appel aux meilleurs auteurs du moment et à leur interprétation personnelle du personnage et de la bible d’origine : Maïté Bernard, Marin Ledun, J.P. Jody, Sébastien Gendron, Sergueï Dounovetz, Antoine Chainas… Ceci pour 2010.
*Baleine Noire http://www.editionsbaleine.fr/2-Bal…> , « collection-de-livres-qui-ne-se-vendent-pas », que je dirige et qui réunit dans des livres de poche de luxe, une littérature punk, gothique, gore ou noire , bizarreries, outrances, exercices de style, avec des auteurs français ou traduits, morts ou vivants, célèbres ou pas.
Faut toutes les buter ! est publié dans Baleine Noire. Dans cette collection, constituée comme un cabinet de curiosités, j’ai publié, d’une part des auteurs contemporains de textes difficiles et littéraires que le "politiquement correct" et la frilosité éditoriale
ambiante avaient amené dans cette collection unique (Serge Scotto, Pascal Françaix, Nada, et j’ai réédité, d’autre part, des textes anciens dont le caractère singulier me semblait cohérent avec les modernes. BR Bruss, Th. de Quincey, M. Agapit, Dann & Dozois…
Son objet est bien la littérature. Pas la politique.
– Mais un roman écrit par un facho fier de l’être et qui charrie du racisme à pleine page (voir l’extrait ci dessous) est-il du côté de la littérature ou du politique ? Peut-on, honnêtement, dissocier les deux ?
La démarche est esthétique et artistique.
– Très artistique et très esthétique le passage suivant signé Brigneau :
“Ça faisait, peut-être, le six ou septième que je m’envoyais, quand voilà qu’une fille s’amène. Une belle petite. À peine vingt piges. Et balancée, la mort de mes os… Rien qu’en matant ses petits nichons qui pointaient à travers le corsage et son valseur si rond, si moulé, tendu si ferme, tourné si dur, j’en ai tout de suite eu l’eau à la bouche. D’autant qu’aussitôt trois crouïas, qu’étaient au bout du bar, se sont mis à discuter le bout de gras en lui dévisageant le côté pile. Faut vous dire : j’ai jamais pu bien renifler les arbis. Pas d’aujourd’hui. Non. Non. Une vieille rancune qui vient de loin.
Du Sud. De Tatahouine. Tous faux-jetons, donneurs, emmanchés et le reste.”
Ce n’est qu’un exemple.
En lisant ça, je pense à mon ami Lazhari Labter, fils de paysans pauvres de Lagouat, devenu normalien puis journaliste, écrivain, poète et éditeur.
Lazhari est l’homme le plus délicieux du monde, infiniment cultivé et respectueux des autres. Je serais curieuse de savoir ce qu’il pense de cet aspect particulier de la littérature, de l’esthétique et de l’art français d’hier que l’on nous ressert tout chaud, et tout saignant aujourd’hui, dans le contexte politique catastrophique que l’on sait.
On m’accuse de vouloir créer du buzz : Malheur à celui par qui le
scandale arrive ! Sérieusement, j‘aurais lancé une telle campagne pour
un livre dont le tirage est de 2600 exemplaires, et qui sera demain
diffusé à… 800 exemplaires ? Et j’aurais envisagé avec sérénité la perspective d’être traité de « facho », pour un roman populaire de 1947 ?
– JF Platet pensait être traité de quoi en publiant le livre de Brigneau ? D’ami de l’humanité berbère ? Arabe ? Pensait-il que les “crouïas” de Tatahouine, les "arbis emmanchés et faux jetons”, “les bicots sournois", (on s’étonne qu’aucun juif ou polak ou rital, ou chinetoque… ne soit aussi dans ce tableau) et tous ceux que ce langage fait vomir, allaient l’applaudir et lui offrir la médaille des “justes “ de l’édition contemporaine ?
Platet pense t-il faire ainsi avancer l’hominisation ? Le respect entre les peuples et les races ???
Si oui, il lui faut consulter un psy de toute urgence ! Cela s’appelle une psychose dissociative.
Bien sûr que Baleine n’est pas un éditeur militant.
– Et ses auteurs ? Ceux qui ont fait Baleine : Les Daeninckx, Raynal, Mizio ? Streiff ? Martin ? Mesplède ? pour ne citer que ceux là, ne sont-ils pas un peu des gens engagés ? L’histoire de cette maison d’édition existe, elle ne commence pas avec Platet.
Le Poulpe peut passer pour un militant, et encore… Ce n’est ni un vengeur, ni le représentant d’une loi ou d’une morale, c’est un enquêteur un peu plus libertaire que d’habitude, c’est surtout un témoin.
– Un témoin qui ne supporte guère les ratonnades !
C’est écrit sur les couvertures, depuis quinze ans. Mais les éditions Baleine, non : c’est une entreprise d’édition qui se targue de publier des romans divers et variés.
– Divers et avariés, désormais !
On n’est pas obligé de les lire, ni de les acheter, ni de les aimer.
– Manquerait plus que ça !
Je maintiens que c’est un texte drôle, émouvant, divertissant, et historique.
– Si Platet vous le dit ! Et si vous en doutez, voici encore un extrait :
“Il souriait d’un air idiot, d’un sourire de sourdingue, et les crouïas étaient à deux doigts de se cotiser pour lui payer un Sonotone.
– Ti m’entends pas, non ? qu’il hurlait Mahomet, ti m’entends pas, empaffé di ta mère…
La fureur l’étranglait ; il ne trouvait plus ses mots en français. Alors, il a commencé à postillonner en macaque. Je comprenais à moitié. Il prétendait, le mauricaud, que tous les gars qui venaient chez Gaston se
faisaient labourer l’oignon, de père en fils. C’était d’ailleurs un vice héréditaire. Car leur mère et leur grandmère et la grand-mère de leur
aïeule, elles en prenaient à la sultane, toutes sans exception, « crac » dans le pataronflard."
C’est un roman d’atmosphère.
– Comme dirait Arletty, la grande résistance à la barbarie nazie.
Bien sûr qu’il est grossier, sexiste, raciste et violent.
– Est-ce le rôle d’un éditeur digne de ce nom, de promouvoir ce qui est raciste et sexiste dans un contexte où le racisme et le sexisme avancent un peu plus chaque jour ?
Le narrateur est un caïd assassin qui n‘a connu que la violence et les armes. Il a été publié en 1947. Et le dernier Ellroy, il ne contient pas lui aussi quelques expressions aussi vulgaires que racistes ?
Pourquoi lancer cette campagne une semaine avant la mise en vente, et
avec une stratégie aussi maladroite : elle profite à M. Brigneau et nuit
au poulpe ? N’était-ce pas l’effet inverse qui était escompté ?
Je regrette que des amis, pris en otage par cette polémique dérisoire,
se trouvent mis en porte-à-faux. Qu’ils sachent que la porte de Baleine
leur sera toujours ouverte. Et que leurs textes, eux, je continuerai à
les défendre. Comme Patrick Raynal quand il a publié son ami ADG, parce
qu’il jugeait que c’étaient des bons livres, je publierai M. Brigneau,
je continuerai à publier des Poulpes, je continuerai à publier des
romans horribles dans Baleine Noire, je défendrai les titres parus chez
Baleine, tous les titres sans exception : A titre personnel, je n’aime pas les fachos. A titre professionnel, je déteste les censeurs.
– A titre personnel, je n’aime pas les éditeurs qui publient des fachos en nous décrivant leurs immondices comme choses drôles, émouvantes, divertissantes et à titre professionnel, je déteste les tricheurs
qui font passer une demande de retrait pour une censure !