Bernard Dato
17 août 2009, 11:17
Chapître 2 : Virtuosité encore, virtuosité toujours.
Les années soixante dix virent l’éclosion en France (notamment dans la revue Métal Hurlant ) de véritables mythes de la BD internationale.
Philipe Druillet faisait exploser les cases et, ayant digéré Jack Kirby et H.P. Lovecraft, nous proposait un univers singulier, fort et incontournable.
Jean Giraud qui dans son Blueberry s’inscrivait dans une tradition initiée par des Milton Caniff et autres Jijé, tentait, sous le pseudonyme de Moebius, de transcender une virtuosité incomparable – presque gênante – en faisant exploser les règles classiques du récit.
Et Chantal Montellier…
… Forte d’une culture politique et picturale solide et de convictions inébranlables, munie d’un dessin empreint de références multiples (de Warhol à Crépax en passant par Hugo Pratt) et d’une technique narrative originale (où iconique et réalisme se répondent sans cesse), Chantal Montellier introduisait dans le 9ème art des thématiques inédites : elle inventait la « Social Fiction » et faisait ainsi exploser les Clivages habituellement admis entre BD, cinéma, art dramatique et arts plastiques.
Outre l’intérêt que je portais à ses histoires (novatrices, visionnaires, politiques), certaines cases de Chantal Montellier ont toujours provoqué en moi une intense et prégnante émotion esthétique dont la cause m’a longtemps échappée.
Définissons, pour aller vite, le figuratif comme la représentation la plus proche possible du réel, l’iconique comme une représentation schématique -qui autorise, entre autres, une identification plus aisée au personnage -, et le pictural comme une représentation plus ou moins abstraite où les formes sont montrées pour elles-mêmes.
Je pense à Hugo Pratt. Ses personnages (et ses décors) contiennent de l’iconique et du pictural (voir certaines cases illisibles sans leur contexte, où aplats de noirs et de blancs atteignent une superbe abstraction) mais le figuratif réaliste est absent (à quelques exceptions près comme dans « Fable de Venise » où certains décors on été réalisé par un autre dessinateur et il faut bien reconnaître que le résultat n’est pas parfait car systématique).
Je pense à Moebius chez qui le réalisme atteint des sommets et chez qui les personnages, même lorsqu’ils sont iconiques, sont graphiquement traités comme les décors. Mais il manque l’abstraction picturale.
Je pense à Frank Miller chez qui, notamment dans son « Sin City », le figuratif et le pictural flirtent magistralement. Mais l’iconique est absent.
Ces auteurs, géniaux par ailleurs, ne sont pas, de ce point de vue, allés aussi loin que Chantal Montellier qui réalise un exploit esthétique remarquable en mêlant au sein d’une même case (souvent le point d’orgue d’une scène ou bien une pleine page), les trois éléments : figuratif, iconique et abstraction picturale (allez voir la dernière planche de « La fosse aux serpents », pleine page de toute beauté où sont présents ces trois éléments dans une image qui conserve pour autant toute sa cohésion. Les statues, ombrées, relèvent du figuratif le plus réaliste, Camille Claudel, sans ombre, tend vers l’iconique, et le décor, en haut à gauche relève de l’abstraction géométrique la plus pure).
Faire coexister ces trois plans de lecture graphique dans une seule et même image sans qu’ils soient simplement juxtaposés, sans qu’aucun des trois ne fasse pièce rapportée, sans que l’image globale ne perde de sa lisibilité, voilà qui relève de la virtuosité pour un résultat qui relève presque de la magie…
(à suivre)
Bernard Dato