Dans la presse :
En sociologie, en anthropologie ou en géographie urbaine, il est des ouvrages qui, malgré le label de scientificité dont ils sont parés, ne nous renseignent guère -et c’est une litote !- sur la réalité qu’ils sont censés décrypter. Il en est d’autres, en revanche, dont la seule ambition est d’essayer de retranscrire la manière dont cette réalité est vécue sans prétendre l’"analyser", et qui, pourtant, peuvent contribuer à combler le vide laissé par les premiers. C’est précisément le cas avec ce livre à plusieurs voix et à plusieurs mains, fruit d’une collaboration intense entre une dessinatrice-écrivain de talent avec les acteurs d’une scène urbaine où bien peu ont choisi de se produire : un "grand ensemble" paupérisé.
(…) avec Chantal Montellier, on a affaire à une auteure qui avait toujours pris le parti des perdants dans cette "France qui gagne", désormais soumise au régime de la compétition sans frontières. En atteste sa production antérieure, qu’il s’agisse de ses B.D. au vitriol ou de ses récits sarcastiques.
(…) que l’on ne se méprenne pas : sauf exceptions, la tonalité des textes et des illustrations, élaborés dans le cadre d’ateliers d’écriture et de dessin, n’est pas à l’apitoiement ni à la délectation morose (…)
L’énergie, la verve et la fantaisie sont au rendez-vous, même si, au détour d’une phrase, percent parfois l’amertume et la dérision (…)
Pour mettre en perspective ces morceaux choisis d’un nouveau genre, fragments réécrits d’une parole populaire que l’on n’entend plus guère en haut lieu, Chantal Montellier les a regroupés selon un découpage inventif qui facilite la confrontation, faisant précéder chaque chapitre d’une courte présentation, toujours incisive, souvent ironique et parfois poétique qui en éclaire le sens. Ainsi en va t-il, par exemple, des témoignages des plus anciens habitants, échoués dans les barres du Haut-du-Lièvre sans pouvoir en repartir :
"…. Ils sont les témoins au long cours de la navigation de ces grands bâtiments, sur une mer parfois mauvaise, meurtrière même. Ils ont traversé bien des tempêtes et en parlent tranquillement. Ils ont leur conscience pour boussole et leurs souvenirs pour port d’attache. Ils vous les confient, prenez en soin".
Une recommandation qui s’adresse aussi -faut-il le préciser ?- aux chercheurs.
Jean-Pierre Garnier, sociologue C.N.R.S.Espaces et Sociétés n°103